La corrosion du magnésium : l’apport des techniques électrochimiques

PAr Abdelmoheiman Zakaria Benbouzid, Oumaïma Gharbi, Mireille Turmine et Vincent Vivier, Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Réactivité de Surface, Paris, France

Le magnésium (Mg) est considéré pour des applications dans le domaine de l’énergie en tant qu’alternative au Li pour des batteries rechargeables au Mg4. Cependant, au contact des électrolytes conventionnels, il se recouvre d’une couche de passivation imperméable aux ions Mg2+, ce qui rend ce métal incompatible avec de nombreux électrolytes liquides et l’empêche de présenter une activité électrochimique réversible. (5)

Le magnésium, un élément attractif
Le magnésium (Mg) et ses alliages sont des matériaux très largement étudiés en raison de leur faible densité (d = 1,74 pour le Mg pur), de leurs propriétés mécaniques (bien que le Mg soit relativement ductile, certains de ses alliages présentent des propriétés mécaniques améliorées) et de la facilité avec laquelle ils peuvent être coulés pour produire des pièces.1,2 De telles propriétés les rendent particulièrement intéressants pour les applications de transport telles que l’aérospatiale ou l’automobile, pour lesquelles la réduction de la masse est cruciale. Par leurs bonnes propriétés de conductivités électrique et thermique, le magnésium et certains de ses alliages sont utiles dans diverses applications comme les composants électroniques et les dissipateurs de chaleur. Les alliages de Mg sont aussi utilisés pour des applications biomédicales,3 en particulier en tant qu’implants médicaux biodégradables. Au cours de ces dernières années, le Mg est également utilisé pour des applications dans le domaine de l’énergie en tant qu’alternative au Li pour des batteries rechargeables au Mg,4 en raison de sa capacité spécifique élevée (2205 mA.h.g-1). Cette approche est particulièrement intéressante car le magnésium métal est relativement moins réactif que le Li et le Na, et il ne développe pas facilement des morphologies de dépôt dendritique. Ainsi, il peut être utilisé en toute sécurité comme anode, ce qui permet d’envisager l’exploitation de sa capacité spécifique élevée. Cependant, au contact des électrolytes conventionnels, le magnésium se recouvre d’une couche de passivation imperméable aux ions Mg2+, ce qui rend ce métal incompatible avec de nombreux électrolytes liquides et l’empêche de présenter une activité électrochimique réversible.5
Ces nombreuses applications sont possibles grâce à la disponibilité de ce matériau qui est l’un des plus abondants sur terre, à la fois dans les minéraux et dans l’eau de mer ou les saumures, mais également grâce à la facilité de son recyclage ; ce qui en fait des matériaux respectueux de l’environnement et économiquement viables. En 2022, la production mondiale était de l’ordre de 1 million de tonnes, dont plus de 85 % produits par la Chine (qui a mis en place des mesures pour diminuer les émissions de particules et de CO2 en relation avec cette production), et environ 250 000 tonnes de Mg provenant de la filière du recyclage (dont environ 50 % aux États-Unis).
Cependant, les performances limitées de ce métal et de ses alliages face à la corrosion limitent encore à ce jour leur utilisation à grande échelle.6 L’utilisation d’alliages, comme par exemple des alliages Mg-Li dans lesquels la teneur en Li est supérieur à 10 % en masse, est une solution pour améliorer la résistance à la corrosion.7 Du point de vue du mécanisme réactionnel, la corrosion du Mg correspond à une oxydation avec un échange global de deux électrons pour former des ions Mg2+, qui, en présence d’eau ou d’ions hydroxyde, réagissent avec les ions hydroxyde pour former les produits de corrosion Mg(OH)2 selon les réactions :
Mg → Mg2+ + 2e-     [Eq. 1]
Mg2+ + 2OH- ↔ Mg(OH)2   [Eq. 2]
Au potentiel de corrosion, le courant étant globalement nul, une réaction cathodique se développe à la surface du métal. Dans le cas du Mg, cette réaction cathodique partielle correspond au dégagement du dihydrogène qui, pour une solution neutre ou alcaline, s’écrit :
2H2O + 2e- → H2 + 2OH- [Eq. 3]
Pour décrire complètement le mécanisme de corrosion du Mg et de ses alliages (­figure 1), il est indispensable de prendre en compte le « negative difference ­effect » (NDE), phénomène inattendu qui se traduit par la formation plus importante de dihydrogène lorsque l’on polarise le matériau dans le domaine anodique.8 Ce processus est une caractéristique essentielle du mécanisme de corrosion des alliages de magnésium et il est important de souligner que c’est une réaction distincte de la réaction cathodique précédemment décrite. 
En effet, la réaction cathodique généralement observée est la réaction de production de dihydrogène qui se produit spontanément sur le Mg dans des conditions de circuit ouvert (i.e., corrosion). Lorsque le Mg et ses alliages sont polarisés anodiquement, on observe une dissolution du métal plus importante, mais également une production de dihydrogène qui augmente avec le potentiel appliqué. Le NDE est alors défini comme la différence entre la quantité de H2 produite dans des conditions de circuit ouvert (ou de corrosion) et la quantité de H2 produite sous polarisation.9 Plusieurs descriptions de ce phénomène ont été proposées et très largement débattues dans la littérature, cependant l’implication d’un intermédiaire adsorbé avec lequel le proton peut réagir spontanément permet de rendre compte des résultats expérimentaux10 et des simulations DFT.11 Le NDE est donc une réaction chimique que l’on écrira sous la forme :
Mg+ads + H+ → Mg2+ + 1/2 H2  [Eq. 4]
Malgré l’ensemble des connaissances acquises sur la corrosion du magnésium, son mécanisme de corrosion, et en particulier l’évolution anormale du dihydrogène dans des conditions de polarisation anodique ne sont toujours pas clairement compris.12,13 Ceci est dû à la complexité de la chimie et de l’électrochimie du magnésium en solutions aqueuses11 qui peuvent impliquer, selon les auteurs, la formation d’un film d’oxyde (MgO) à la surface du Mg (figure 1),6,14 la dissociation de l’eau,15,16 le NDE,17,18 l’adsorption d’espèces, la formation d’ions magnésium monovalents (Mg+),19,20 la variation du pH interfacial,21,22 et la précipitation de produits de corrosion. Enfin, il a aussi été montré, via une approche cinétique, que la corrosion de certains alliages de Mg comme l’alliage AZ91 (contenant 9 % d’aluminium et 1 % de zinc) est cinétiquement contrôlée par la dissolution du Mg.23

La corrosion du magnésium abordée par l’électrochimie
Dans ce qui suit, nous allons illustrer comment, à partir de mesures électrochimiques, la corrosion du magnésium peut être suivie, mais aussi, l’intérêt d’utiliser de telles méthodes pour en déterminer le mécanisme réactionnel.
La figure 2 illustre la courbe de densité de courant en fonction du potentiel obtenue sur l’électrode tournante de Mg 
(1 000 tr/min) dans une solution de Na2SO4 0,5 mol L-1, après une immersion préliminaire de 2 heures au potentiel de corrosion. Une analyse classique de ces courbes consiste à déterminer les domaines linéaires au voisinage du potentiel de corrosion afin de pouvoir extrapoler le courant de corrosion. Bien que cette approche soit très répandue en corrosion, elle reste délicate à mettre en œuvre, voire inexacte. En effet, une telle analyse suppose que la réponse électrochimique du système est simple et correspond à un échange électronique élémentaire. 
Dans le cas du magnésium, les mécanismes généralement envisagés sont complexes. S’il est relativement aisé de définir un domaine linéaire lors du balayage cathodique, la branche anodique présente plusieurs changements de pente qui sont dus aux différentes étapes élémentaires explicitées sur la figure 2. Ces courbes permettent donc de déterminer le potentiel de corrosion, qui ne renseigne pas sur le mécanisme de corrosion, et d’évaluer le courant de corrosion à 0,56 mA cm-2. Cependant, cette valeur n’est qu’une estimation, puisqu’en fonction de la pente choisie, les valeurs de la densité de courant de corrosion peuvent varier d’un ordre de grandeur environ.
La figure 3 présente les diagrammes d’impédance dans une représentation de Nyquist (i.e. partie imaginaire de l’impédance du système en fonction de la partie réelle), obtenus sur une électrode de Mg en fonction du temps, initialement dans une solution de pH neutre. Indépendamment du temps d’immersion, la forme des diagrammes est très similaire et permet de distinguer trois constantes de temps. Dans le domaine des hautes fréquences, la première boucle capacitive à environ 100 Hz correspond à la résistance de transfert de charge en parallèle avec la capacité interfaciale. La constante de temps à moyenne fréquence (240 mHz) est attribuée à la diffusion des espèces à l’intérieur de la couche poreuse formée par les produits de corrosion. La boucle inductive aux fréquences les plus basses (40 mHz) est attribuée à la relaxation des intermédiaires adsorbés. Il est intéressant de remarquer qu’un tel mécanisme, impliquant une espèce monovalente adsorbée à la surface de l’électrode, a déjà été observé pour la corrosion de différents métaux comme le Fe24 ou le Zn,25 c’est-à-dire pour un mécanisme de réaction en plusieurs étapes impliquant des espèces adsorbées.26
De plus, les diagrammes d’impédance de la figure 3 sont homothétiques entre eux, mais la fréquence caractéristique de la première boucle capacitive varie légèrement avec le temps. En revanche, la seconde fréquence caractéristique correspondant au processus de diffusion reste constante, en accord avec la théorie pour la diffusion dans une couche d’épaisseur finie dans le cas d’une électrode tournante. On en déduit que, quel que soit le domaine de fréquence considéré, la variation de l’amplitude de la réponse en impédance de chaque processus suit la même loi de proportionnalité, ce qui est attribué à la variation de la surface active en fonction du temps d’immersion. D’un point de vue pratique, l’augmentation de l’impédance traduit une diminution du courant, due à une diminution de la surface active de l’électrode sur laquelle se produit la dissolution du Mg. 
Cette conclusion est en accord avec les expériences de microscopie électrochimique à balayage réalisées sur une électrode de Mg corrodé qui ont montré une diminution de la surface du domaine réactif avec le temps d’immersion.10 En outre, une analyse plus détaillée de ces diagrammes permet d’obtenir des informations sur l’évolution de l’interface.17,27 À partir des valeurs de la capacité de l’interface que l’on détermine grâce à l’analyse des diagrammes d’impédance dans le domaine des hautes fréquences, l’épaisseur de la couche d’oxyde MgO peut être évaluée. 
Cette épaisseur varie de 5 à 7 nm lors des 60 premières heures d’immersion (figure 4) montrant ainsi un renforcement de la résistance à la corrosion du matériau avec le temps. Cette variation est à mettre en regard de l’évolution de l’amplitude des diagrammes ainsi que de l’alcalinisation du milieu principalement liée au NDE. De la même façon, l’analyse de la constante de temps correspondant au processus de diffusion (domaine de fréquences intermédiaires – figure 3) permet d’évaluer l’épaisseur de la couche de produits de corrosion qui restent à l’interface. Cette épaisseur est à la fois contrôlée par la cinétique de la réaction et par la vitesse de rotation de l’électrode et se stabilise à environ 22 µm (figure 4). Il faut noter que dans les deux cas, ces couches permettent de limiter la corrosion, mais que leurs épaisseurs sont significativement différentes (3 ordres de grandeurs).
Lorsque le Mg est en milieu acide (­figure 5), le diagramme d’impédance met en évidence une seconde constante de temps inductive dans le domaine des basses fréquences. Cette constante de temps est attribuée à la réaction cathodique (réduction du proton pour former du dihydrogène). Cependant, très rapidement, le milieu s’alcalinise et on retrouve, après seulement quelques heures, les diagrammes d’impédance similaires à ceux présentés sur la figure 3. 
D’un point de vue mécanisme réactionnel, une analyse des diagrammes à partir du modèle présenté figure 2 permet d’obtenir un très bon ajustement des résultats expérimentaux, que ce soit en milieu acide ou basique, justifiant ainsi la mise en jeu d’intermédiaires adsorbés. Il faut noter que le mécanisme proposé repose sur l’idée que le NDE se développe sur une espèce Mgads, probablement monovalente, formée lors de la première étape d’oxydation du magnésium, et permet de rendre compte du comportement global de ce métal du milieu acide au milieu basique comme cela est résumé sur la figure 6. Cette figure illustre également l’évolution de la réactivité du Mg avec le pH à partir de l’amplitude des diagrammes.
Conclusion
La corrosion du Mg et ses alliages est un phénomène complexe qui, bien que largement étudié, suscite encore à ce jour des controverses. L’apport des techniques électrochimiques, avec notamment la spectroscopie d’impédance électrochimique, a permis de mettre en évidence la présence de trois constantes de temps associées au mécanisme de corrosion dont une liée à la présence d’une espèce adsorbée à la surface. Bien que la présence d’espèces intermédiaires ait été aussi appuyée par des études mécanistiques, la communauté scientifique n’a pas encore trouvé de consensus sur la nature réelle de ces intermédiaires. Cependant, l’approche mécanistique discutée pour décrire la corrosion du magnésium permet de rendre compte de l’ensemble des observations expérimentales, y compris du phénomène de « negative difference effect ». n

Figure 1 : Description des principaux mécanismes de la corrosion de magnésium.

Figure 2 : Courbes courant / potentiel anodique et cathodique mesurées indépendamment sur une électrode tournante (1000 tr/min) à une vitesse de balayage de 0,1 mV s-1 après deux heures d’immersion dans une solution de sulfate de sodium (0,5 mol L-1) et mécanisme élémentaire proposé pour décrire la corrosion du Mg pur.

Figure 3 : Évolution des diagrammes d’impédance mesurés au potentiel de corrosion sur une électrode tournante (1 000 tr/min) en fonction du temps dans une solution de sulfate de sodium (0,5 mol L-1).

Figure 4 : Évolution de l’épaisseur de la couche d’oxyde MgO en fonction du temps obtenue à partir de l’analyse de la constante de temps des hautes fréquences et évolution de l’épaisseur de la couche de produits de corrosion Mg(OH)2 obtenue à partir de l’analyse de la constante de temps du domaine de fréquences intermédiaires des diagrammes d’impédance présentés figure 3.

Figure 5 : Diagramme d’impédance (représentations de Nyquist et de Bode) mesurés au potentiel de corrosion sur une électrode tournante (1000 tr/min) dans une solution d’acide sulfurique (0,5 mol L-1). Les symboles correspondent aux résultats expérimentaux, la courbe rouge à l’ajustement réalisé avec le mécanisme réactionnel présenté figure 2. 

Figure 6 : Évolution des diagrammes d’impédance en fonction du pH. 

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