N°456 - Janvier/février 2019

N°456 - Janvier/février 2019

Que serait un monde sans frottement ?

Pourrions-nous imaginer un monde sans frottement ? Comment nous déplacerions-nous ? Tous les objets et êtres vivants mobiles seraient contraints à s’entasser en bas de chaque dénivelé… De manière moins dramatique, impossible d’entendre le chant du criquet, ni celui du violon… Et pauvre Don Juan courant suspendre l’échelle au balcon (acte III, scène XV)... Celle-ci ne tiendrait plus appuyée contre le mur… Un monde sans frottement serait à coup sûr invivable. D’un autre côté, une étude récente et détaillée [Holmberg, in Friction 5(3), 2017] montre qu’environ 20 % de la consommation mondiale d’énergie (103 Exajoules !) sert à vaincre le frottement et 3 % (16 EJ) à la remise à neuf des pièces usées et/ou pour pallier les défaillances liées à l’usure, ce qui correspond à 3,5 % du Produit Mondial Brut.
Selon les situations, les niveaux de frottement et d’usure sont quelquefois voulus, élevés (freins, semelles, pneus…), quelquefois non (segments de piston, paliers, skis…), tout comme l’usure est parfois nécessaire (craies, surfaçage…) ou coûteuse (diverses pièces mécaniques). On comprend alors qu’actuellement, exacerbé par le développement des nanotechnologies où la surface prend une place prépondérante, le maître mot est devenu le contrôle du niveau du frottement et de l’usure, tout autant que la volonté de sa réduction.
La tribologie, science récente regroupant le frottement, l’usure et la lubrification (le mot est apparu en 1966, [HP Jost]), est encore trop peu enseignée pour de nombreuses raisons, mais l’une d’entre elles est qu’il est extrêmement difficile d’enseigner des phénomènes avec si peu de lois physiques générales et établies. La difficulté vient du fait que ni le frottement, ni l’usure ne sont des propriétés intrinsèques des matériaux qui subissent une sollicitation de contact.
Une des conséquences immédiates est que de nombreuses études ont permis d’établir un certain nombre de règles pour les constructeurs, mais, fortes de leurs succès, ces dernières ont été généralisées à tort : « Plus c’est dur, moins ça s’use ; plus c’est lisse, mieux ça glisse ; un frottement élevé provoque une forte usure… ». Ces résultats, justifiés dans des cas particuliers ont été ensuite utilisés à tort comme des postulats.
Le meilleur moyen de ne pas faire d’impair de la sorte serait de bien comprendre la source du frottement et de l’usure, et c’est là que le bât blesse ! Les causes du frottement, telles qu’on les comprend de nos jours, sont multiples et fortement interdépendantes. Si, avec plus ou moins de succès, la spéculation intellectuelle et les expériences ont permis d’avancer dans la compréhension des phénomènes, ce n’est que depuis le milieu du XXe siècle, grâce aux travaux de Bowden et Tabor (1950) que des idées plus claires ont été énoncées sur le sujet. Les conceptions plus modernes (tribologie des interfaces – notion de troisième corps) nées sous l’impulsion de Maurice Godet (1980) permettent de mieux rendre compte des phénomènes en considérant l’interface comme une zone à part entière dans le contact glissant, mais ne conduisent pas à un modèle mathématique utilisable dans les bureaux d’études. Malgré tout, celui qui se plongera dans ces modèles phénoménologiques pour les intégrer dans la conception de produits et/ou de systèmes pourra mieux optimiser ses contacts glissants pour favoriser ou non un bas niveau de frottement, favoriser ou non un faible taux d’usure.

Dr Xavier Roizard, Responsable de l’équipe Tribologie, Fonctionnalisation et Caractérisation des Surfaces, Département de Mécanique Appliquée, Institut FEMTO-ST UMR6174, Besançon

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