L’influence de la stérilisation sur la corrosion des alliages biomédicaux
Par Anna Igual-Munoz, Jean-Ludovic Genilloud et Stephano Mischler
(École Polytechnique Fédérale de Lausanne)
L’influence des stérilisations par des solutions d’alcool, par autoclave et exposition UV, sur le comportement à la corrosion électrochimique et sur la chimie de surface d’un alliage CoCrMo, d’un alliage Ti6Al4V et du titane grade 2 a été étudiée. Les résultats montrent que la stérilisation améliore sensiblement la résistance à la corrosion du CoCrMo, mais possède un effet inverse sur les autres métaux investigués.
Les alliages destinés aux applications biomédicales sont sélectionnés en fonction de leurs propriétés mécaniques (résistance à la traction, tenue à la fatigue et à l’usure) et de surface (biocompatibilité, passivité). Les principaux alliages biomédicaux, comme les alliages CoCrMo et le titane, sont connus pour former spontanément un film d'oxyde protecteur très mince (film passif), qui joue un rôle clé dans la biocompatibilité et la corrosion. La réaction initiale à l’interface influence directement la biocompatibilité d’un matériau, celle-ci étant régie par les propriétés du film passif. Le film passif constitue une barrière contre le transfert d’électrons et le relargage d'ions métalliques dans l’environnement, diminuant ainsi la vitesse de corrosion.
Avant implantation, les alliages biomédicaux subissent des traitements de stérilisation pouvant modifier la chimie de surface du métal. La question qui se pose alors est de savoir si la stérilisation peut altérer la résistance à la corrosion de ces alliages. Nous avons donc étudié la réponse électrochimique de différents alliages biomédicaux (alliage CoCrMo, alliage TiAlV, titane grade 2, titane grade 2 anodisé) ainsi que la chimie de surface par spectroscopie des électrons Auger (AES), afin de quantifier la vitesse de corrosion et de comprendre les mécanismes réactionnels impliqués.
Procédures de stérilisation
Aujourd'hui, il existe plusieurs techniques physiques et chimiques de stérilisation adaptées aux propriétés du matériau et à l'application finale du dispositif [1]. Nous avons utilisé les plus communes, à savoir :
- Éthanol (EtOH) : immersion dans un bain d'éthanol à 70 %.
- Autoclave à vapeur (AC) : après stérilisation 1, introduction des échantillons dans un autoclave à 121 °C sous une pression de 0,1 MPa.
- Irradiation ultraviolette (ACUV) : après stérilisation 2, exposition à une lumière UV (typiquement 260 nm de longueur d'onde).
Composition de surface
Les informations chimiques des films passifs (composition chimique et épaisseur) peuvent être déterminées par des techniques d'analyse de surface, telle que la spectroscopie des électrons Auger (Auger Electron Spectroscopy AES). Cette technique expérimentale, qui requiert l’ultravide, fournit une information chimique sur les premières couches atomiques.[2] Couplés à un système de décapage par bombardement avec un faisceau d’ions argon progressif, ils permettent d’obtenir des profils de concentration sur une plus grande épaisseur (figure 1). Nous avons utilisé un système commercial PHI SAM680 opérant avec un faisceau d’électrons primaires d’une énergie de 10 keV et un courant de 10 nA. Le bombardement ionique a été effectué avec un faisceau de ions argon accélérés à 1 keV avec un courant de 500 nA.
Mesures électrochimiques
Le comportement à la corrosion d’un métal passif est déterminé par un ensemble complexe de réactions électrochimiques qui se produisent à l’interface métal/film passif et film passif/solution électrolytique (figure 2).
Ces réactions ont été étudiées à l’aide de techniques électrochimiques (potentiostat Autolab 302A) de corrosion impliquant par exemple, la mesure du potentiel à circuit ouvert, de la résistance de polarisation et des courbes de polarisation (figure 3). La résistance de polarisation, Rp, (facile à obtenir par une petite polarisation anodique et cathodique autour du potentiel à circuit ouvert) est un indicateur de la résistance à la corrosion. Une polarisation plus large permet d’obtenir d’autres paramètres électrochimiques importants, tels que les cinétiques cathodiques (réduction de l’oxygène) et anodiques.[3] Une solution de 8 g/l de chlorure de sodium (NaCl) à température ambiante (25 ± 1 °C) a été utilisée pour simuler de façon simplifiée les fluides corporels.
Comportement à la corrosion
La résistance de polarisation Rp mesurée par voie électrochimique, en quelques minutes, est un bon indicateur de la résistance à la corrosion, car elle est inversement proportionnelle à la vitesse de corrosion. Les résultats obtenus, moyennés sur plusieurs essais (la déviation standard est inférieure à 20 %), sont illustrés sur la figure 4, qui montre que les procédés de stérilisation en autoclave et en autoclave avec illumination UV, augmentent sensiblement la résistance à la corrosion de l’alliage CoCrMo, mais ont un effet contraire sur la corrosion de l’alliage TiAlV, ainsi que celle du titane grade 2.
Mécanismes réactionnels
La différence de la stérilisation sur le comportement à la corrosion entre les alliages à base de cobalt et à base de titane implique que différents mécanismes réactionnels interviennent.
L’analyse de surface par AES (figure 5) montre que l’épaisseur des films passifs formés après stérilisation en autoclave sur l’alliage CoCrMo augmente, sans pour autant changer sa composition (essentiellement de l’oxyde de chrome avec des faibles quantités de cobalt). Un film épais est plus protecteur, car il implique une distance de migration plus grande et donc un flux d’ions métalliques plus faible (figure 2). Cependant, ni la composition, ni l’épaisseur du film d’oxyde formé sur le titane et sur l’alliage TiAlV ne semblent varier de façon significative, d’après les analyses AES (figure 6).
On peut alors supposer que la vitesse de réaction est limitée par des réactions se produisant à la surface du film passif, notamment la réduction de l’oxygène. En effet, on a déterminé le courant d’échange de l’oxygène par extrapolation de courbes de polarisation (branche cathodique) vers le potentiel réversible de l’oxygène. Ce courant d’échange est un indicateur de l’effet catalytique d’une surface sur la vitesse de réduction de l’oxygène. La figure 7 montre clairement que la vitesse de corrosion du titane est proportionnelle à la vitesse de réduction de l’oxygène. Physiquement, ceci s’explique par le fait qu’une réduction accrue de l’oxygène requiert la consommation d’électrons supplémentaires, et donc une oxydation du métal (corrosion) plus importante (figure 2).
Remarques finales
La stérilisation étant la dernière étape du processus de fabrication des implants, la caractérisation de l'influence de ce processus sur le comportement électrochimique de la surface résultante est donc nécessaire pour comprendre les performances finales de l'implant in vivo.
Cette étude a montré que la stérilisation peut influencer le comportement à la corrosion des alliages CoCrMo, TiAlV ainsi que du titane, et donc potentiellement leurs biocompatibilités et performances cliniques ultérieures. Plus précisément on observe :
Pour les alliages CoCrMo, la stérilisation par autoclave a modifié de manière significative la composition de la surface (film passif plus épais et riche en chrome) et amélioré la résistance à la corrosion par rapport à la simple stérilisation dans l'éthanol.
Pour le titane et ses alliages, la stérilisation a un impact négatif sur la résistance à la corrosion.
Le comportement de la corrosion est contrôlé par la vitesse de la réaction de réduction de l'oxygène, qui est accélérée par les méthodes de stérilisation AC et ACUV.
Notons enfin que la combinaison de méthodes électrochimiques et d’analyse de surface permet non seulement de mesurer les vitesses de corrosion, mais également d’accéder à la compréhension des mécanismes impliqués, ouvrant ainsi la voie à des pistes de développement pour de meilleurs procédés de stérilisation.
Références bibliographiques
1. Lerouge, S. Sterilisation and cleaning of metallic implants. In Metals for Biomedical Devices ; Niinomi, M., Ed.; Woodhead Publishing Series in Biomaterials ; Woodhead Publishing: Cambridge, UK, 2010.
2. D. Briggs, M.P. Seah Practical Surface Analysis by Auger and X-Ray Photoelectron Spectroscopy John Wiley & Sons (1994).
3. D. Landolt Corrosion and surface chemistry of metals (2007) ISBN 978-2-940222-11-7 (EPFL Press).
4. A. Igual-Munoz, J-L. Genilloud, B M. Jolles, and S. Mischler Influence of Different Sterilization Methods on the Surface Chemistry and Electrochemical Behavior of Biomedical Alloys Bioengineering 2023, 10, 749. doi.org/10.3390/bioengineering10070749.
Index : Tribology and Interfacial Chemistry Group, Institut des Matériaux,
École Polytechnique Fédérale de Lausanne.

Figure 1 : Principe de la mesure d’un profil AES.

Figure 2 : Les ions métalliques et les électrons générés par l’oxydation à l'interface métal/film passif migrent vers l'interface film passif/électrolyte où ils réagissent avec les ions O₂- produits par la réduction (consommation d’électrons) de l’oxygène dissout dans l’électrolyte. On permet ainsi au film passif de croître en épaisseur. Cependant, l’oxyde formant le film passif présente une certaine solubilité dans l’électrolyte, ce qui entraine la dissolution du film. L’équilibre entre les différentes réactions impliquées détermine l’épaisseur du film et la vitesse de corrosion globale, c.à.d. le relargage d’ions métalliques dans la solution.

Figure 3. : Courbes de polarisation de l’alliage CoCrMo après différents traitements de stérilisation. Ces derniers affectent la réaction cathodique de réduction de l’oxygène et, dans une moindre mesure, la réaction anodique de corrosion passive. Adapté (4).
À propos de l’EPFL et du groupe de Tribologie et chimie interfaciale (TIC)
L’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est une université de premier plan qui se consacre à la formation de futurs ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs. Ses laboratoires de recherche travaillent sur diverses disciplines, de l’intelligence artificielle à la nanotechnologie, en passant par les énergies renouvelables. L’EPFL entretient également des partenariats étroits avec l’industrie et joue un rôle clé dans l’innovation en Suisse. Le « TIC » est chargé de l'enseignement et de la recherche dans le vaste domaine de la science des surfaces et de la technologie des matériaux. Ses compétences comprennent les aspects modernes de la tribologie et les interactions chimiques se produisant aux interfaces liquide-matériau. Les projets de recherche actuels portent sur la tribocorrosion (interactions usure-corrosion), sur les effets chimiques de surface en tribologie, sur la corrosion et la tribologie dans les systèmes biologiques et les processus métallurgiques et électrochimiques pour l'amélioration des propriétés de surface.

Figure 4. : Résistance à la polarisation dans une solution de 8 g/l de NaCl, des différents alliages biomédicaux stérilisés à l’éthanol (EtOH), en autoclave (AC) et en autoclave suivie de lumière ultraviolette (ACUV). Adapté (4).

Figure 5 : Fraction atomique des éléments d’alliage Co, Cr et de l’oxygène à la surface, ainsi que pendant les premiers nanomètres à l’intérieur de la surface après les procédés de stérilisation (a) EtOH et (b) en autoclave. Le profil en profondeur de l’échantillon ACUV n’est pas présenté, car il est similaire au cas de stérilisation AC. L’épaisseur du film passif est indiquée.

Figure 6 : Fraction atomique du titane à la surface et pendant les premiers nanomètres à l’intérieur de la surface, après les procédés de stérilisation (a) à l’EtOH et (b) en autoclave. Le profil en profondeur de l’échantillon ACUV n’est pas présenté car il est similaire au cas de stérilisation AC.
La composition chimique (TiO₂) et l’épaisseur du film passif ne changent pas de façon significative avec la stérilisation.

Figure 7 : Diminution de la résistance à la polarisation (augmentation de la vitesse de corrosion) du titane et de l’alliage de titane TiAlV avec l’augmentation du courant d’échange de l’oxygène (augmentation de la vitesse de réduction de l’oxygène) dans une solution de 8 g/l de NaCl.