Comportement du titane pur lors du décapage en milieu acide sulfurique concentré (H2SO4 70 %)

Par Virginie Moutarlier, Rémy Viennet, Jean-Yves Hihn 
Institut UTINAM UMR 6213 - CNRS Université Marie et Louis Pasteur

Le titane, incontournable dans les secteurs aéronautique, maritime et biomédical, nécessite des traitements de surface adaptés pour optimiser ses performances. Ces traitements consistent le plus souvent en une anodisation précédée d’un décapage à l’acide fluorhydrique, produit particulièrement dangereux d’utilisation. Ce travail propose une alternative au décapage à l’acide fluorhydrique : le décapage à l’acide sulfurique concentré (H2SO4 70 %). L’étude évalue l’efficacité de ce procédé en conditions variées tout en surveillant un enjeu crucial : l’hydruration du titane qui pourrait compromettre l’intégrité du matériau.

Introduction
Le titane possède des caractéristiques industrielles remarquables[1], notamment une excellente résistance à la corrosion et à l’érosion. Sur le plan mécanique, ses propriétés permettent la fabrication de pièces à la fois fines et légères. Il peut être par exemple utilisé pour la fabrication de tubes destinés aux systèmes hydrauliques d’avions, d’équipements maritimes ou sous-marins, ainsi que d’implants médicaux.
Parmi les traitements de surface les plus courants appliqués au titane figure l’anodisation[2-4]. Ce procédé consiste à former une couche d’oxyde de titane (TiO₂) plus épaisse que celle naturellement présente, ce qui modifie les propriétés de surface. L’anodisation permet d’obtenir une coloration (dépendante de l’épaisseur de l’oxyde, donc de la tension appliquée) tout en renforçant la résistance à la corrosion. Toutefois, une étape préalable de décapage est nécessaire.
Le décapage a pour but d’éliminer les contaminants et les oxydes présents en surface afin de préparer le matériau à recevoir le traitement suivant. Pour cela, des mélanges à base d’acide fluorhydrique (HF) sont généralement utilisés, souvent combinés à l’acide nitrique (HNO₃)[5-9]. Cependant, en raison de la toxicité de l’acide fluorhydrique, il est pertinent d’envisager des alternatives plus sûres. C’est dans ce contexte que le décapage à base d’acide sulfurique concentré (H₂SO₄ à 70 %) a été étudié[10]. Des essais ont été menés à différentes températures (20 °C et 50 °C) et sur des durées variables (jusqu’à 30 minutes) pour décaper du titane pur.
Un aspect critique des décapages acides du titane concerne le risque d’hydruration. En effet, le titane est particulièrement sensible à l’hydrogène[11,12]. Celui-ci est très peu soluble dans la phase alpha du titane, de l’ordre de 20 à 100 ppm, et au-delà de ce seuil des hydrures de titane peuvent se former (Ti + H₂ → TiH₂). Ces composés étant fragiles, ils peuvent provoquer des ruptures dans les zones sollicitées mécaniquement ou lors des opérations de mise en forme. Il est donc essentiel de maitriser les conditions opératoires pour s’assurer de l’efficacité du décapage à l’acide sulfurique concentré, tout en vérifiant l’hydrogénation de la surface de titane.

Partie expérimentale
Des décapages ont été réalisés sur des échantillons de titane pur à l’aide d’une solution d’acide sulfurique concentrée à 70 % en volume. Les temps d’immersion ont été étudiés jusqu’à 30 minutes, et les expériences ont été menées à deux températures : 20 °C et 50 °C.
Les vitesses de décapage (V, exprimées en nm/min) ont été déterminées par gravimétrie, selon la relation suivante : V = 107 × (m₁ – m₂) / (S × ρ × t), où : m₁ et m₂ sont les masses avant et après décapage (g), S est la surface ­immergée (cm²), ρ la masse volumique du titane (4,5 g / cm³) et t le temps d’immersion (min).
L’évolution de la morphologie de surface a été analysée par microscopie électronique à balayage à effet de champ (MEB FEG, microscope MIRA TESCAN) et par mesures de rugosité (profilomètre DEKTAK). Les changements de composition ont été étudiés à l’aide des techniques de spectrométrie à décharge luminescence (SDL, profiler HORIBA Jobin-Yvon) et de diffraction des rayons X (DRX, diffractomètre D8 Discover BRUKER).

Vitesses de décapage
Les vitesses de décapage pour du titane pur, en milieu acide sulfurique concentré, sont présentées sur la Figure 1. À 20 °C, après 15 minutes d’immersion, la vitesse de décapage reste très faible, de l’ordre de 3 nm  / min. Elle augmente ensuite progressivement pour atteindre une valeur stable autour de 30 nm / min. Cette phase initiale de décapage lent à température ambiante peut s’expliquer par la présence de la couche passive d’oxyde de titane naturellement formée à la surface du métal. Cette couche, stable chimiquement, agit comme une barrière et ralentit l’attaque acide. Le délai observé correspond au temps nécessaire à la dissolution de cette couche par l’acide sulfurique. À température plus élevée (50 °C), ce délai n’est plus observé, ce qui suggère une attaque plus rapide de la couche d’oxyde. À cette température, la vitesse de décapage atteint 220 nm/min dès 15 minutes d’immersion, puis se stabilise autour de 300 nm / min après 30 minutes. 
À noter que ces valeurs restent modestes comparées à celles d’un décapage à l’acide fluorhydrique 1 %, qui peuvent atteindre 1 µm/min à 20 °C. Néanmoins, en optimisant correctement des paramètres opératoires tels que la température et le temps d’immersion, l’acide sulfurique concentré demeure une alternative intéressante.

Modifications de morphologie
L’observation des images MEB-FEG (Figure 2) et des rugosités de surface (Figure 3) ont permis d’appréhender les modifications de morphologie en fonction des conditions opératoires du décapage H2SO2 70 %. Avant traitement, les traces de laminage sont clairement visibles sur l’échantillon qui présente une rugosité de l’ordre de 260 nm. Après 15 minutes à 20 °C, les lignes de laminage restent détectables. De plus, la surface montre une alternance de zones peu modifiées et de zones présentant un microrelief, induisant une légère augmentation de la rugosité (Ra = 290 nm). Si un temps de décapage de 30 minutes permet d’éliminer les lignes de laminage, cela accentue le développement du relief microscopique avec une hausse de la rugosité (Ra = 340 nm). À des températures plus élevées, cette nouvelle morphologie apparaît nettement, recouvrant l’ensemble de la surface. Dans ces conditions, l’augmentation de la rugosité devient significative (Ra de 480 à 670 nm).

Modifications de composition
Les modifications de composition lors des décapages H2SO2 70 % ont été étudiées par SDL et DRX avec les résultats respectifs présentés sur les Figures 4 et 5.
Pour le titane non traité, la distribution des éléments en profondeur déterminée par SDL (Figure 4a) révèle la présence de trois zones distinctes. De 0 à 0,4 s de temps d’érosion, la surface contient principalement de l’oxygène et du carbone correspondant à une couche de contamination superficielle. Entre 0,4 et 1  s, on observe un mélange de titane, d’oxygène et de carbone, caractéristique de la couche d’oxyde naturelle du titane qui semble de plus contenir un composé carboné. Au-delà de 1 s, le signal correspond au substrat de titane.
L’analyse par DRX du titane non décapé (Figure 5a) confirme la présence du titane cristallin, avec des pics caractéristiques de la phase α-Ti. En parallèle, des pics de carbure de titane (TiC₀.₆₂) sont également identifiés, notamment aux positions 2θ = 36°, 41,8° et 60,7°. Cette observation est cohérente avec la détection de carbone en surface par SDL. En revanche, aucun pic de TiO₂ n’est observé par DRX. Cela s’explique par le fait que la couche d’oxyde naturelle est amorphe et donc non détectable par diffraction.
Après décapage, des modifications de composition sont observées. La première modification concerne la disparition du carbure de titane. À l’exception du traitement à 20 °C pendant 15 minutes, les analyses SDL ne détectent plus les signaux de Ti–C en surface et les pics caractéristiques du TiC₀.₆₂ disparaissent des réponses DRX. Le carbure de titane, probablement formé lors des opérations de fabrication comme le laminage, est donc efficacement éliminé par le décapage, pour des temps d’immersion longs ou pour des températures élevées.
Lors des analyses SDL, du soufre est également détecté dans la zone oxydée de surface. Des analyses XPS ont mis en évidence la présence de cet élément sous la forme de sulfate[10]. La littérature indique effectivement que le composé Ti (SO4) 2 peut se former lors du décapage du titane en milieu sulfurique[9].

Figure 1. Vitesses de décapage du titane pur en fonction de la durée d’immersion dans H2SO4 70% à 20 °C et 50 °C

Figure 2. Micrographies MEB-FEG du titane pur a) avant décapage, après décapage dans H2SO4 70% 
b) à 20 °C pendant 15  min 
c) à 50 °C pendant 30  min

Figure 3. Rugosité (Ra) du titane pur en fonction de la durée d’immersion 
dans H2SO4 70% à 20 °C et 50 °C

Figure 4. Profils SDL du titane pur : 
a) avant décapage, après décapage dans H2SO4 70%, 
b) à 20 °C pendant 15 min
c) à 50 °C pendant 30  min

Figure 5. Analyses DRX du titane pur :
a) avant décapage, après décapage dans H2SO4 70 % 
b) 20 °C 15  min c) 20 °C 30  min
d) 50 °C 15  min e) 50 °C 30  min

Figure 6. 
a) Temps d’érosion de Ti-H issus des profils SDL
b) Teneurs en TiH2 issues des mesures DRX en fonction de la durée d’immersion dans  H2SO4 70% à 20 °C  et 50 °C.

Une dernière transformation, significative, est l’apparition d’une couche d’hydrure de titane. Cette couche de Ti-H, mise en évidence par les profils SDL, est localisée entre le substrat métallique et l’oxyde de titane reformé en surface. Le temps d’érosion pour Ti-H est sensiblement lié à l’épaisseur de la couche d’hydrure. Les analyses DRX confirment la formation de TiH₂, identifiable par ses pics caractéristiques à 2θ = 35,4°, 41° et 59,4°.
Les temps d’érosion de Ti-H (mesurés lors des analyses SDL) et les teneurs en TiH₂ (déterminées par affinement Rietveld) en fonction de la durée d’immersion, sont présentés sur la Figure 6. À 20 °C, l’hydruration ne débute qu’après une immersion prolongée, d’environ 15 minutes. Ce délai s’explique par le temps nécessaire à la dissolution de la couche d’oxyde de titane formée naturellement, ce qui permet ensuite l’exposition du métal nu et ainsi la formation des hydrures. En revanche, à 50 °C, ce temps d’incubation disparaît et l’hydruration devient rapidement prononcée. Ces résultats s’accordent avec les observations précédentes : l’augmentation de la température accélère le décapage de la surface, permettant une mise à nu plus rapide du métal, facilitant ainsi la formation des hydrures.

Hydrogénation du titane pendant le décapage
Les réactions ayant lieu lors du décapage à l’acide sulfurique concentré peuvent se définir par les équations suivantes :
• Équation 1 :
TiO₂ (s) + 4 H⁺ (aq) → Ti⁴⁺ (aq) + 2 H₂O
• Équation 2 :
Ti (s) + 4 H⁺ (aq) + 2 SO₄²⁻ (aq) → Ti(SO₄)₂ (ads) + 2 H₂ (g) 
• Équation 3 :
Ti (s) + H2 (ads) → TiH₂ (s)
Lors du décapage, la couche passive naturellement présente à la surface du titane, constituée principalement de dioxyde de titane (TiO₂) et contenant des impuretés telles que du carbure de titane, est dissoute sous l'action des ions H⁺ (équation 1). Privée de sa couche protectrice, la surface métallique devient réactive : elle peut réagir avec les ions sulfate pour former en surface le complexe Ti (SO4)2 (équation 2) et les atomes d’hydrogène peuvent alors s’adsorber puis diffuser dans la matrice du titane. Lorsque la concentration d’hydrogène atteint un seuil critique, il se forme une couche d’hydrure de titane (TiH₂) dans les zones proches de la surface (équation 3). Enfin, après l’étape de décapage, une nouvelle couche d’oxyde se reforme spontanément à l’air, couvrant la surface du métal exposé. La formation de la couche d’hydrure de titane aura pour conséquence la création d’un microrelief.
Ainsi, le décapage en milieu acide sulfurique concentré induit une hydrogénation de la surface titane, conduisant à la formation de couches d’hydrures de titane. L’importance de ce phénomène dépend fortement des conditions opératoires : il s’intensifie avec l’augmentation de la température et la prolongation du temps d’immersion.
Il convient de noter que cette hydrogénation peut également se produire lors d’autres procédés de décapage acide, notamment avec l’acide fluorhydrique (­équation 4) :
Ti (s) + 6 HF (aq) → H2TiF6 (ads) + 2 H₂ (g)
Ce phénomène n’est pas sans conséquence : l’hydrogénation du titane pendant le décapage peut altérer ses propriétés mécaniques ainsi que sa résistance à la corrosion, en particulier après anodisation. Une étude récente a d’ailleurs montré que la présence d’hydrures avant traitement anodique pouvait dégrader les performances en corrosion des couches anodiques[10].

Conclusion
Le décapage du titane en milieu acide sulfurique concentré représente une alternative potentielle au décapage à l’acide fluorhydrique. Toutefois, il est essentiel d’optimiser les conditions opératoires afin de garantir une élimination efficace des composés de surface (l’oxyde de titane naturel et, le cas échéant, les carbures de titane issus du procédé de fabrication), tout en limitant l’hydruration (formation d’une couche en surface de TiH2).
À température ambiante, un décapage dans H₂SO₄ à 70 % devient efficace au-delà de 15 minutes d’immersion. 
Il faudra cependant éviter une immersion trop longue afin d’éviter une forte hydruration de la surface. L’élévation de la température, par exemple à 50 °C, permet d’accélérer l’efficacité du décapage, mais accroît également le risque d’hydruration. Il reste indispensable de choisir une durée de traitement permettant un décapage efficace, tout en maîtrisant la formation d’hydrures de titane, susceptibles de nuire aux performances des traitements ultérieurs tels que l’anodisation.
Sur le plan technique, la combinaison des méthodes d’analyse DRX (% de TiH2) et SDL (couches de Ti-H) s’est révélée particulièrement intéressante pour caractériser les hydrures de titane. Elles ont permis de déterminer les variations d’hydruration en fonction des conditions opératoires du décapage, apportant ainsi une compréhension des mécanismes en jeu.

Remerciements
Les auteurs remercient l’université de Bourgogne Franche-Comté (UBFC-I-SITE) pour le financement du projet IHTT (Impact of Hydrogen on the behavior of Titanium alloys welded Tubes). Ils remercient tous les partenaires du projet, avec la société NEOTISS pour la fourniture de substrat de titane. Les analyses SDL, DRX et MEB ont été faites dans les plates-formes PCU UTINAM et MIFHySTO. 

Références
[1] C. Leyens, M. Peters “Titanium and Titanium Alloys : Fundamentals and Applications” (2003) Wiley-VCH
[2] A.K. Sharma “Anodizing titanium for space applications” Thin Solid films, 208 (1992) pp.48-54
[3] M.V Diamanti, P. Pozzi, F Randone, B. Del Curto, M.P. Pedeferri, “Robust anodic colouring of titanium : Effect of electrolyte and colour durability”, Materials and Design, 
Volume 90 (2016) pp.1085-1091
[4] D. Prando, A. Brenna, M.V. Diamanti, S. Beretta, F. Bolzoni, M. Ormellese, M. Pedeferri, “Corrosion of titanium : Part 2 : Effects of surface treatments” Journal of Applied Biomaterials and Functional Materials, Volume 16 (2018) pp.3-13
[5] M. Mizuhata, S. Yamamoto, H. Maki, “Removal of Surface Scale from Titanium Metal by Etching with HF–HNO₃ Mixed Acid” Materials Transactions, Volume 58 (9) (2017) pp.1280–1289.
[6] D.V Nazarov, E.G. Zemtsova, A.Y. Solokhin, R.Z. Valiev, V.M. Smirnov, “Modification of the surface topography and composition of ultrafine and coarse-grained titanium by chemical etching” Nanomaterials, Volume 15 (2017)
[7] BR Chrcanovic, A Wennerberg, MD Martins, “Influence of temperature and acid etching time on the superficial characteristics of Ti” Materials Research, Volume 18 (2015) pp.963-970
[8] K. Shliakhetka, I. Pohrelyuk, H. Chumalo, H. Veselivska, “Influence of Concentration of Sulfuric and Hydrochloric Acids on Corrosion Resistance of Porous Titanium” Journal of Materials Science, Volume 58, (2023) pp. 1280–1289.
[9] S. Ban, Y. Iwaya, H. Kono, H. Sato, “Surface modification of titanium by etching in concentrated sulfuric acid”, Dental Materials, Volume 22 (2006) pp. 1115-1120
[10] R. Viennet, V. Moutarlier, N. Rouge, J-Y. Hihn “Etching titaniun with 70 % H2SO4 : 
Effects on morphology, composition, and corrosion resistance of anodic films” Applied Surface Science Advances, Volume 27, (2025) 100767
[11] Y. Zhu, T.W. Heo, J.N. Rodriguez, P.K. Weber, R. Shi, B.J. Baer, F.F. Morgado, S. Antonov, K.E. Kweon, E.B. Watkins, D.J. Savage, J.E. Chapman, N.D. Keilbart, Y.Song, Q. Zhen, B. Gault, S.C. Vogel, S.T. Sen-Britain, M.G. Shalloo, C.Orme, M. Bagge-Hansen, C. Hahn, T.A. Pham, D.D. Macdonald, S.R. Qui, B.C. Wood, “Hydriding of titanium : Recent trends and perspectives in advances characterization and multiscale modeling” Current Opinion in solid State and Materials Science, 26 (2022), 1012020 
[12] E. Conforto, X. Feaugas “A Review of Hydride Precipitates in Titanium and Zirconium Alloys : Precipitation, Dissolution and Crystallographic Orientation Relationships” MATEC Web of Conferences (2020) matec-conferences.org

Les derniers articles sur ce thème