AD65NTM : nuance de nitruration à performances améliorées par rapport au 33CrMoV12-9

O. Skiba(1), J. Bellus(2), C. Sidoroff(3), M. Millot(4), A. Bonnin(5), C. Fizanne-Michel(4)
(1) IRT M2P, Metallurgy and processes, Metz, France. (2) Aubert et Duval – Research and Development Department, Les Ancizes, France. (3) NTN Europe, Research Innovation Development, Annecy, France. (4) SAFRAN Tech – M&P Department, Magny les Hameaux, France. (5)AIRBUS Helicopters, Metallic Materials and Processes, Marignane - France

Les contraintes posées par le secteur aéronautique ont conduit l’IRT M2P à poursuivre des travaux dans le cadre du projet Transfuge, mené entre 2018 et 2024. L’une des thématiques importantes du projet a porté sur l’identification et l’étude de la réponse de nuances d’aciers innovantes aux traitements thermochimiques de nitruration et cémentation, dans le but d’améliorer notamment la résistance mécanique du matériau.

1. Introduction
Dans le domaine de la motorisation aéronautique, les développements sont impulsés par des contraintes toujours plus fortes sur la réduction de la consommation de carburant, des émissions polluantes ou encore du bruit. L’évolution de ces cahiers des charges impliquent de modifier les designs des organes de transmission et de roulements. D’un point de vue fonctionnel, ces modifications se traduisent sur les pièces sollicitées par une amélioration des performances à différents niveaux tels que présentés dans la figure 1 :

  • En fatigue de contact,
  • Résistance mécanique en sous-couche,
  • En fatigue pied de dent.

Si l’on se cantonne aux aspects matériaux et procédés appliqués, il existe principalement trois voies d’innovation pour répondre à ces nouveaux cahiers des charges :

  • Optimiser la composition chimique des nuances qui composent les sous-ensembles mécaniques afin d’améliorer leur réponse potentielle aux traitements de renforcement qui y sont appliqués.
  • L’optimisation des traitements thermiques d’utilisation et préalable aux traitements thermochimiques.
  • L’optimisation des traitements thermochimiques appliqués.

Les résultats présentés dans les paragraphes suivants s’inscrivent dans ce contexte global et font référence à une partie des travaux conduits dans le cadre du projet Transfuge, mené à l’IRT M2P entre 2018 et 2024. L’une des thématiques importantes du projet a porté sur l’identification et l’étude de la réponse de nuances d’aciers innovantes aux traitements thermochimiques de nitruration et cémentation. Les couples matériau/procédé ont été préalablement sélectionnés par un consortium d’acteurs du domaine aéronautique. 
La solution technique concernée ici est l’AD65N™ nitruré dont les propriétés sont à mettre en regard de la solution de référence communément utilisée : la nuance 33CrMoV12-9 nitrurée.
La métallurgie de l’AD65N™ et ses spécificités seront succinctement présentées et comparées à la nuance de référence. Une seconde partie traitera de la réponse à la nitruration de la nuance d’intérêt et de la méthodologie utilisée pour décrire l’évolution des caractéristiques clefs des couches obtenues en fonction des paramètres de procédé appliqués. Enfin, des résultats d’essais FZG d’endurance sur banc back-to-back seront présentés pour les deux nuances.

2. L’AD65N™ (30CrMoV13-15)
L’acier AD65N™ (30CrMoV13-15) est un acier martensitique faiblement allié dont la composition est proche de celle de la nuance 33CrMoV12-9. Les teneurs massiques des éléments significatifs des nuances sont données dans le tableau 1. L’AD65N™ présente des teneurs plus élevées en élément carburigènes et nitrurigènes (Cr, Mo, V) et donc un potentiel de durcissement plus important.
Les gammes de traitement thermique de pré-nitruration appliquées sont une normalisation, un recuit, une austénitisation suivie d’un revenu (NoRTR) afin d’obtenir une résistance mécanique de l’ordre de 1500 MPa pour l’AD65N™ et de 1 300 MPa pour le 33CrMoV12-9.
Pour l’AD65N™, la résistance mécanique obtenue est de 1 480 MPa, la limite d’élasticité est de 1290 MPa, et la résilience est de 56 J à 20°C. Pour la nuance 33CrMoV12-9, la résistance mécanique obtenue est de 1 375 MPa, la limite d’élasticité est de 1 180 MPa, et la résilience est de 110 J à 20°C. L’évolution des caractéristiques mécaniques est donnée dans la figure 2 (issue de [1]).
Des calculs d’équilibre thermodynamique ont été réalisés avec le logiciel Thermo-Calc couplé à la base de données thermodynamiques commerciale dédiée aux aciers TCFE11 pour connaître la nature et la composition des phases aux différentes températures du traitement NoRTR pour les nuances L’AD65N™ et 33CrMoV12-9. 
Les simulations ont été réalisées avec les compositions chimiques détaillées dans le tableau 1. Les diagrammes de phases sont donnés dans la figure 3 avec l’AD65N™ en trait pointillé et le 33CrMoV12-9 en trait plein.
L’AD65N™ présente une population de carbures plus élevée que la référence 33CrMoV12-9 dans les gammes de traitement thermique réalisées, permettant ainsi de limiter l’adoucissement à cœur pendant la nitruration, et l’augmentation de la taille de grain pendant les étapes d’austénitisation.
La température de solvus des carbures de type MC est décalée à plus haute température en raison d’une plus grande stabilité du M2C dans l’AD65N™ (tableau 2). La stabilité des carbures de type M2C est, quant à elle, augmentée par une teneur en molybdène plus importante dans l’AD65N™.

3. Réponse à la nitruration de l’AD65N™
L’étude de la réponse à la nitruration de la nuance L’AD65N™ a été réalisée sur la plateforme de nitruration gazeuse de l’IRT M2P (four NIH966 de conception ALD France). Cette installation permet de réaliser des traitements de nitruration gazeuse dans une atmosphère d’ammoniac NH3 et d’ammoniac craqué (DNH3) à la pression atmosphérique, à des températures comprises entre 400°C et 700°C.
L’objectif de cette phase du développement est de faire les liens entre les caractéristiques clefs des couches nitrurées et les paramètres de nitruration appliqués, et de tracer des abaques qui, en première approche, pourront servir à définir facilement des cycles de nitruration adaptés en fonction des propriétés visées.
Pour y parvenir, la même méthodologie que celle décrite et appliquée à la nuance 33CrMoV12-9 dans [2] a été appliquée. Cette approche se base sur l’hypothèse selon laquelle le cycle thermique de nitruration agit comme un revenu dès lors que la saturation superficielle en azote est effective. Cette hypothèse se traduit par l’introduction d’un paramètre de type Hollomon-Jaffe (HP) rendant compte de l’équivalence temps-température associée aux paramètres de nitruration et celle-ci permet de décrire en première approximation les caractéristiques clefs des couches nitrurées obtenues telles que : la dureté superficielle, la dureté à cœur, la profondeur de nitruration, le minimum et l’étendue du champ de contraintes résiduelles.
Ainsi, un nombre restreint d’essais de nitruration permettant de couvrir le domaine usuel des paramètres de nitruration en temps (entre 40 h et 150 h) et en température (entre 490°C et 570°C) ont été réalisés. Afin de remplir la condition de saturation de la couche nitrurée, le potentiel de nitruration (ou KN) a été réglé de telle manière à s’assurer de la formation d’une couche de combinaison en extrême surface. Les développements associés à cette phase de l’étude ont pu être réalisés sur la durée d’une année et ont conduit à l’obtention d’abaques pour la nuance L’AD65N™, dont un aperçu est présenté en figure 4.
Dans la suite de ce paragraphe, on s’intéresse ensuite plus en détail à la gamme de nitruration profonde de référence de l’IRT M2P conduisant à une dureté superficielle de l’ordre de 850 HV et une profondeur de nitruration efficace (NHD : HVcoeur + 100) de l’ordre de 0.75 mm afin de comparer la nuance L’AD65N™ et la nuance 33CrMoV12-9.
Cette gamme se caractérise par un paramètre ­d’Hollomon-Jaffe de nitruration de l’ordre de 18,2 (ligne pointillée orangée sur la figure 4). 
Après réalisation de la gamme complète de traitement, on obtient respectivement pour l’AD65N™ et le 33CrMoV12-9, une dureté de surface (à 40 µm) de 922 HV et 849 HV, une dureté à cœur de 448 HV et 398 HV, et une profondeur de nitruration (NHD) de 0.82 mm et 0.76 mm.
Les échantillons des deux nuances ont été découpés afin d’effectuer une investigation microstructurale de la couche nitrurée et du cœur sur une coupe transversale. L’investigation microstructurale met en évidence une différence de morphologie entre les deux nuances au niveau de la répartition des liserés de cémentite dans la profondeur (figure 5). En effet, une étude basée sur l’analyse d’image en microscopie optique et électronique ont mis en évidence des liserés de cémentite plus courts mais une densité plus importante.

4. Performance sur dentures
Au-delà des essais basiques de caractérisation mécanique, il est intéressant de fabriquer des pièces. Aussi, le projet a intégré la réalisation d’essais de fatigue de contact sur dentures. L’essai réalisé utilise un banc back-to-back d’entraxe 91,5 mm, largement connu dans le monde de la transmission mécanique, développé par les équipes de l’université technique de Munich [3]. 
Le protocole en revanche est adapté par rapport aux donneurs d’ordre du projet, que ce soit en termes de géométrie de dentures ou de chargement.
Les engrenages utilisés sont conjugués à dentures droites. Le pignon compte 27 dents, la roue 33. Que ce soit pour la nuance de référence ou l’AD65N™, les gammes d’usinage ébauche, de nitruration et d’usinage de finition ont été identiques. Aucune difficulté particulière n’a été rencontrée par notre sous-traitant pour passer d’une nuance à l’autre. En revanche, une différence est à noter sur la gamme d’obtention de la préforme dans laquelle les pignons ont été taillés.
Les matériaux utilisés pour la fabrication de ces éprouvettes sont tous deux issus de coulées industrielles VIM-VAR. Si l’approvisionnement pour le projet a été possible en rond de 120 mm pour la référence, l’AD65N™ n’a pu être approvisionné qu’en rond de 85 mm, rendant nécessaire une étape préalable de forgeage. Les deux nuances ont ensuite subi un traitement de trempe et revenu (NoRTR) similaire amenant la référence à 1 300 MPa de résistance mécanique tandis que l’AD65N™ atteint une résistance de 1 500 MPa.
Après nitruration, la dureté de surface des pignons en l’AD65N™ dépasse sur l’ensemble de la couche nitrurée de 100 HV celle de la référence. Les duretés à cœur sont peu différentes.
Les essais ont été réalisés au laboratoire FZG de Munich. Le protocole prévoit un chargement normal constant de 180 Nm tout au long de l’essai de 400 heures. Le pignon tourne à 3 000 tours par minute et supporte le couple. L’essai est réalisé en condition de barbotage dans une huile Turbonycoil 600 à 100°C. L’essai est divisé en 4 phases de 100 heures.
À la fin de chaque phase, l’essai est interrompu. Les pièces sont démontées pour être inspectées à raison d’un suivi de 4 dents par pièce. Cette inspection consiste, d’une part, à mesurer le profil de denture par métrologie à la machine tridimensionnelle au centre des dents et d’autre part à la prise d’images en lumière blanche pour caractériser l’endommagement (figure 6).
En fin d’essai, une expertise destructrice des éprouvettes est réalisée pour déterminer précisément les caractéristiques des matériaux testés ainsi que valider les endommagements observés au cours de l’essai.

Figure 1. Représentation schématique des modes de sollicitation mécanique, de leur localisation et leur intensité vis-à-vis de la surface d’une pièce.

Tableau 1. Composition chimique en massique de l’AD65NTM et 33CrMoV12-9.

Tableau 2. Températures de solvus des carbures dans l’AD65NTM et le 33CrMoV12-9. 

Figure 2. Évolution de la résilience en fonction de la résistance mécanique.

Figure 3. Diagramme de phase de l’AD65NTM et du 33CrMoV12-9.

Figure 4. 
Exemple d’abaques accessibles pour l’AD65NTM permettant de faire le lien entre un cycle de nitruration caractérisé par un paramètre HP donné et les caractéristiques des couches nitrurées obtenues. Les contraintes résiduelles de compression sont données en valeurs absolues. La barre pointillée orange correspond à une nitruration caractérisée par un HP = 18,2.

Figure 5. Micrographies optiques de l’extrême surface des deux nuances après nitruration : à gauche, l’AD65NTM et à droite le 33CrMoV12-9. Dans les deux cas, la nitruration a conduit à la formation d’une couche de combinaison.

Figure 6. Comparaison des endommagements des pignons pour les trois essais réalisés. En haut : évolution de la déviation du profil entre la pièce neuve et la fin de l’essai. En bas : image optique d’une dent du pignon.

Figure 7. Comparaison des déviations de profil maximales relevées pour chaque pièce et chaque essai.

Deux essais ont été réalisés pour la nuance de référence, un seul pour l’AD65N™. Les trois essais ont été menés jusqu’à 400 heures avec un endommagement léger. L’objectif de l’essai consiste à évaluer la résistance à la fatigue de contact de surface des couples matériaux/ procédés évalués. Pour cela, la rugosité des surfaces est laissée brute de rectification (Ra ≈ 0.4 µm).
Les résultats obtenus en fin d’essai pour le pignon sont illustrés à la figure 6. Le graphique supérieur illustre l’évolution de la forme du profil entre le début de l’essai (en bleu, légendé « new ») et la fin de l’essai (en orange ou rouge, légendé « after 400 h »). Les graphiques de déviation de profil sont identiques en échelle horizontale, mais présentent des différences en échelle verticale sur la répartition des points de contact B, C, D.
Ces lettres illustrent des points particuliers sur la ligne d’action du contact : A est le début du contact, E la fin. De A à B, il y a deux dents en prise. Entre B et D, une seule dent de chaque pièce supporte la charge. C représente le point fictif de roulement sans glissement où la charge est maximale.
La différence majeure de profil de denture entre le début de l’essai et la fin de l’essai est localisée entre les points A et C pour toutes les pièces. Une légère différence est notée également au niveau du point D. Pour un expert, les essais réalisés sur la nuance de référence illustrent bien la dispersion naturelle de l’essai. L’endommagement observé est normal, ici de type usure par micro-écaillage. Les deux matériaux présentent le même type d’endommagement, dans les mêmes localisations, ce qui peut être visualisé de façon qualitative sur les images et de façon quantitative sur les mesures de profil (figure 6). À noter la persistance en fin d’essai de l’AD65N™ des stries de rectification. Pour le meilleur essai réalisé sur la nuance de référence (test 1), elles ont quasiment disparu.
Pour comparer les trois essais, nous avons relevé pour chaque pièce du contact (le pignon et la roue) les déviations maximales de profil, et tracé un histogramme (figure 7). Celle-ci est illustrée à titre d’exemple par la flèche double sur les graphiques de profils de l’essai 1 (figure 6), dent 1 (tooth 1). Si la déviation de profil maximale du pignon en L’AD65N™ est similaire à celle de la nuance de référence, la roue présente un endommagement significativement plus faible pour la nouvelle nuance que pour la référence. Ce résultat est très intéressant. Il reste à démêler l’effet nuance d’acier de ­l’effet éventuel du fibrage apporté par l’étape de forge introduite pour obtenir la préforme.

5. Conclusions
La nuance L’AD65N™ est un acier martensitique faiblement allié de composition chimique proche de celle du 33CrMoV12-9. Cette nuance est issue d’un développement micro incrémental sur sa composition chimique dans l’optique d’accroître les performances mécaniques de l’acier.
Grâce à sa composition chimique voisine de la nuance 33CrMoV12-9 et l’application d’une méthodologie éprouvée pour cette même nuance, il a été possible d’obtenir en un temps court et avec peu d’essais, des abaques permettant de faire le lien entre les paramètres procédés appliqués (temps, température) et les propriétés caractéristiques des couches nitrurées.
Les premiers essais d’endurance sur dentures réalisés sur banc back-to-back ont montré un endommagement de même type entre les deux nuances. Les zones touchées sont localisées aux mêmes endroits. Toutefois, on distingue une ampleur de l’endommagement significativement moindre sur la roue du couple pignon/roue en L’AD65N™ par rapport au couple pignon/roue en 33CrMoV12-9.
En l’état actuel des analyses, il est difficile de conclure quant à l’origine de cette différence dans la mesure où les pignons en L’AD65N™ ont suivi une gamme de fabrication impliquant une étape de forge a contrario des pignons en 33CrMoV12-9. Des analyses complémentaires doivent être réalisés pour essayer de découpler l’effet « forge » de l’effet nuance sur les endommagements observés.
Les résultats présentés ici démontrent le potentiel de la nuance. En effet, les ajustements réalisés sur la chimie permettent d’atteindre des propriétés mécaniques améliorées par rapport au 33CrMoV12-9 que ce soit après un traitement thermique d’emploi ou l’application d’un traitement thermochimique. Il est également intéressant de noter que l’utilisation de l’AD65N™ n’implique pas de changements majeurs à intégrer dans les gammes de traitements thermiques et thermochimiques ou dans les opérations de fabrication des pièces. 
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6. Références
[1] J. Bellus, C. Sidoroff, S. Ooi, and O. Skiba, Nitriding Characteristic of Two New Steel Grades for Demanding Transmission and Bearing Application, in Bearing and Transmission Steels.Technology, ed. J. Beswick (West Conshohocken, PA : ASTM International, 2024) : 
379–402, http://doi.org/10.1520/STP1649202300105.
[2] Simon Thibault, Christine Sidoroff, Sébastien Jégou, Laurent Barrallier, Grégory Michel. A Simple Model for Hardness and Residual Stress Profiles Prediction for Low-Alloy Nitrided Steel, Based on Nitriding-Induced Tempering Effects. HTM J. Heat Treatm. Mat., 2018, 73 (5), pp.235-245. Ffhal-01905706.
 [3] ISO 14635–1 (2023), FZG test method A/8,3/90 for relative scuffing load-carrying capacity of oils.

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